DES DOUTES SUR LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL EN COURS
Roberto Santana
22.09.2020 10:41
Tout semble indiquer que l'APPROVAL sera le vainqueur du plébiscite du 25 octobre mais les étapes qui suivront sont pleines d'incertitude. Les doutes concernent divers aspects de l'organisation de la Convention Constitutionnelle, tant sur ses exigences que sa composition et la proposition de thèmes à aborder et à approuver par les mandants.
L'espoir que la nouvelle Constitution s'attaque véritablement non seulement aux droits sociaux et économiques des citoyens, mais aussi à l'organisation autoritaire et centralisé du pouvoir héritée du XIXe siècle, risque d'être frustré. Ceci sera grave car certains aspects restrictifs de l'expression démocratique ont été accentués dans la Constitution de Pinochet. Les doutes résident dans la manière dont va se dérouler l'élection des conventionnels qui légiféreront. Les partis politiques vont monopoliser la représentation à la Convention alors que, paradoxalement, ils se trouvent depuis quelques années complètement discrédités et sont en plein déclin quant à leur identification avec la grande majorité de la population.
Déjà en novembre 2015, l'enquête du CEP (Centre d’Etudes Publiques) a montré une détérioration inquiétante de la confiance de la population dans les partis qui ont détenu le pouvoir après Pinochet, au point que l'identification de la population aux différentes tendances de gauche n'était que de 13%, alors que celle des différentes tendances de droite descendait à 10%. Après la gigantesque et violente manifestation d'octobre 2019, l'image des partis n'a pas changé. Au début de cette année, le même CEP (le 25 janvier 2020), constatait que seulement 14% des personnes consultées ont déclaré s'identifier à un parti politique. Comment alors est-il possible que ce soient ces mêmes partis qui fixent les règles de participation à la Convention en cas de victoire de l'approbation ?
Les obstacles imaginés par la classe politique pour éviter l'inscription des indépendants à la discussion de la nouvelle législation constitutionnelle sont énormes. Si les indépendants, majoritaires dans la demande de changement de la Constitution, peuvent en théorie participer, il semble qu'ils seront presque complètement écartés du jeu car le SERVEL (Service électoral nationale), interprétant les décisions approuvées au Parlement avec l'accord de presque tous les partis politiques, impose le passage devant notaire de chaque signature requise (passage qui bien sûr est payant et requiert la présence de deux témoins) pour enregistrer la candidature. A tel point que le journal La Tercera a publié il y a quelques jours un article intitulé « Los independientes, invitados de piedra a la Convention Constitucional ? » Il va sans dire qu'en temps de pandémie, les gens ont peur de se rendre chez le notaire car c'est le lieu des agglomérations quotidiennes.
A cela s'ajoute l'exigence de prouver que l’on a réuni un nombre des signatures de l’ordre des 0,4 % des voix de l'élection précédente dans sa circonscription. Le Parlement à l'exception du Parti communiste, a même refusé la proposition de 0,2% proposée par la Commission constitutionnelle de la Chambre des députés. Ainsi, à ce stade, tout indique qu’environ 75 % des chiliens qui en debut cette année ne se considéraient pas représentés par un secteur politique quelconque, seront simplement exclus de la possibilité de donner leur avis sur la nouvelle Constitution.
Si tel est le cas, les doutes sur la pertinence des changements apportés à la Constitution actuelle semblent justifiés car les arrangements constitutionnels qui en résultent risquent de ne pas satisfaire suffisamment les demandes, les différents points de vue et les attentes longtemps différées d'une population diversifiée par sa position sur l'échelle sociale, territoriale, ethnique et culturelle. Au cours des deux dernières décennies, ce n'est pas seulement la droite qui a défendu le statu quo en termes de forme traditionnelle d'organisation du pouvoir héritée du XIXe siècle, mais aussi le centre et la gauche qui se sont progressivement pliés à cette façon d'imaginer l'indispensable cohabitation du pouvoir et de la démocratie. C'est comme si toute la classe dirigeante s'était laissé gagner par une profonde méfiance vis à vis des citoyens et avait réussi à inventer toutes sortes de restrictions à l'exercice de la démocratie. Cette même méfiance s’est transmise au comportement de l'administration publique, rendant la vie difficile à la population.
En effet, pour l'ensemble de la classe dirigeante, certaines questions restent taboues : autonomie locale et régionale, autonomie ethnique, rééquilibrage des fonctions de l'Exécutif et du Parlement, véritable indépendance du pouvoir judiciaire, disparition du Sénat (autre organe contrôlant l'exercice de la démocratie), réforme de l'administration publique (sujet lié à la décentralisation du pouvoir), restriction des fonctions des notaires (sujet qui empoisonne la vie des Chiliens), renforcer l'autonomie du Bureau du Contrôleur, etc. En d'autres termes, tout ce qui constitue le "noyau dur" d'une Constitution et qui a un impact sur l'essence même de la démocratie.
Pour l’instant, ce que l'on constate de la part des partis politiques est une grande absence de propositions thématiques nouvelles destinées à enrichir la Constitution, à la moderniser et à renouveler la relation Etat / société, qui est sous tension depuis plusieurs années. On reste dans le domaine des généralisations et de manque de précision. Il existe ainsi le risque que les élus à la Convention, obéissant aux directives de leurs partis, agissent avec un esprit plutôt régressif dans la discussion sur les relations entre le pouvoir représentatif et la démocratie et qu'ils n'accordent pas l'importance voulue aux questions essentielles formant le "noyau dur" de la Constitution, en se concentrant sur les droits revendiqués par la société, qui sont certes importants et où des progrès seront certainement réalisés dans la conquête de nouveaux droits sociaux, économiques, culturels et éducatifs, mais avec les restrictions que l'on peut attendre.
Un autre mode d'organisation était entre les mains du président de la République et de ses conseillers. Utilisant son autorité et l'exercice du veto présidentiel, maintes fois utilisés, ( ce qui permet d’entendre constamment que le président détient un pouvoir excessif) , il aurait pu décider que la Convention constitutionnelle, si elle était approuvée dans le plebiscite, serait composée de 50% de représentants des partis et de 50% d'indépendants y compris des représentants indigènes et des membres d'organisations sociales. Ainsi le Président a perdu l'occasion de passer à l'histoire avec une véritable Constitution rénovée et destinée à durer, restant prisonnier de sa majorité parlementaire. Il n’a pas eu la bonne réponse aux aspirations de la population.
En tout cas, ce qui est indéniable, c'est que pour l'immense majorité des Chiliens, la possibilité d'une autre Constitution signifie se débarrasser d'une chape de plomb qui les empêchait de rompre définitivement avec les jours noirs de la dictature. Pour beaucoup, le simple fait d'abandonner la Constitution de Pinochet et de passer à une nouvelle sera déjà une victoire populaire pour la même raison qu'elle représentera un fait symbolique d'importance humaine et historique, mais une grande majorité des manifestants d'aujourd'hui peuvent être frustrés parce que les conquêtes seraient mineures et après les premiers mois de réjouissance voir que les choses n'ont pas tant changé.