IDENTIDAD Y DESARROLLO LOCAL
DEVELOPPEMENT LOCAL ET VALORISATION IDENTITAIRE CHEZ LES HUILLICHES DU LITTORAL D’OSORNO. Point de vue d'un géographe intéressé au développement local.
Roberto Santana
Je voudrai parler de revalorisation identitaire liée au développement local. Cette démarche me paraît être au centre des préoccupations des indigènes Huilliches.
Nous essayons d’aider (avec les collègues de l’Université de Los Lagos à’Osorno) un ensemble de communautés de l’ethnie Huilliche à réfléchir à une stratégie de développement local. Notre position de départ est la suivante: réussir la revalorisation identitaire, autrement dit, arriver à vivre dans l’épanouissement l’identité collective, passe forcément aujourd’hui par le développement économique et la modernisation sociale: il ne suffit pas de la revendication des droits culturels et politiques. Des exemples opposés sur le chemin du développement: Shuars et Inuits (maîtrisant les processus) et Saraguros et Huilliches (en début du chemin). Par ailleurs, quelques expériences d'affirmation identitaire restées sur un plan strictement revendicatif sont aujourd’hui en régression.
Le cas des Huilliches d'Osorno en est un exemple bien illustratif des enjeux actuels. Notre intérêt pour ce groupe s'explique de manière simple: intéressés à la gestion de la forêt primaire et ses rapports avec le développement de la Région des Lacs, on devait forcément les rencontrer car, à Osorno les huilliches sont sur quatre vastes communes, dont celle de San Juan de la Costa, l'un de nos terrains d'enquêtes.
A mon avis, un décalage très important existe entre les images "importées" par les leaders évoluant à l’extérieur des communautés et les réalités du terrain. Les "organisateurs" de l'identité politique ont tendance à fonctionner à des niveaux supra, qu'ils soient modernes ou traditionnels. Dans le premier cas ils constituent déjà une couche supérieure plus proche des couches moyennes que des communautés. Parfois ils se sont mis a fonctionner comme transnationaux. S'ils sont traditionnels, ils bloquent l'accès aux décisions à ceux d'en bas. Tel serait notre cas d'étude.
Modernes ou traditionnels, ces deux types de leadership défendent les revendications bien connues des peuples indigènes: territoires, droits culturels, revendications politiques. Un plus, d'une façon ou d'une autre, tous manient à présent les grands principes en vogue sur le développement durable : respect de l'environnement et de la diversité en particulier. Ces discours bien sûr sont peu répercutés au sein des communautés et encore faut‘ il savoir ce que les leaders entendent par delà les abstractions…
Un constat s’impose dès le début : entre le discours des leaders et la réalité du développement avec identité au niveau communautaire il existe une véritable fossé.
Le leadership de cet ensemble provincial est de type traditionnel: "Junta General de Caciques de la Butahuillimapu". Pour abréger l'histoire il suffit de signaler qu’au cours du XX siècle la reproduction de ce système de leadership a eu une grande continuité. Sa référence aux droits territoriaux, à l'exemption tributaire, à la reconnaissance politique et à l'attention de l'Etat est si ancienne comme 1793, date à laquelle un Traité de Paix fût signé entre eux et la Couronne espagnole.
C'est sans doute grâce à cette continuité dans la défense des termes de ce Traité (comme ils l’entendent: égalitaire) que dans la première moitié du XIX siècle des titres de Comisario (avec cession de territoires) ont été octroyés à des caciques huilliches de San Juan de la Costa.
Aussi faut-il mettre au compte de cette persévérance le fait qu'en 1994 la Loi Indigène dictée par le premier Gouvernement démocratique de l'après Pinochet, fait une reconnaissance explicite de ce groupe minoritaire de la famille mapuche insistant sur la spécificité de l'ethnie huilliche, reconnaissant les autorités traditionnelles et même les anciens titres de Comisario.
A sept ans de publiée la Loi Indigène, la situation sur le terrain a eu un seul grand changement: les indigènes ont pu récupérer une bonne proportion de la terre revendiquée (dans le cadre de l’action menée par la CONADI). Pour le reste, malgré quelques améliorations (chemins, eau potable, électricité, centres d'attention primaire de santé, programmes bilingues d’éducation) la pauvreté domine dans les communautés et la politique officielle pratiquée est largement l'assistanat, doublée ci et là de quelques petits programmes productifs de court terme et de profil sectoriel, toujours dépourvus de toute visée stratégique.
La modernisation de la société huilliche n’a jamais fait partie du programme des caciques, au delà d’une demande pour l’éducation des jeunes. Déjà au cours du siècle passé, la dynamique sociale dans les communautés huilliches montrait une grande autonomie par rapport au cacicado et maints processus identitaires échappaient à son autorité. (Foerster, 2001). Tout comme leur échappent encore aujourd'hui… Stratégies de développement ? Les caciques se conforment à donner leur assentiment aux décisions institutionnelles. Engager la transition vers la modernité n'est pas en tout cas le thème de réflexion de la Junta de Caciques!
Pendant ce temps, la revalorisation identitaire par la reconnaissance légale (à obtenir) semble être un sujet bien apprécié par les leaders de l'autorité traditionnelle, aujourd'hui reconnue. Cela es valable aussi pour des indigènes jouissant d’un statut professionnel (cas de quelques intellectuels et fonctionnaires). Mais cette prise de conscience ne va pas au même rythme ou n'est pas sensibilisée de la manière par les gens simples des communautés qui continuent à vivre repliées sur elles-mêmes et se considèrent toujours victimes de la non reconnaissance et du délaissement par l'Etat, même si ce dernier fait aujourd'hui un effort d’aide sans précédents. L’identité de victime se double d’une identité d’assisté. On peut donc imaginer facilement qu'à la base, le processus d'affirmation identitaire soit tronquée, que l'identité indigène se vive encore mal, que les individus aient du mal à traiter d’égal à égal les représentants de l’Etat et tout cela faute d'éléments de prestige et de pouvoir économique que seule la société moderne peut apporter. Or, ces facteurs de prestige et de pouvoir qui renforceraient l'identité collective ne peuvent venir que de la l’action collective vers le développement local.
Mais ici, dans les communautés du littoral, ni le discours identitaire venant du cacicado, ni la pratique des institutions sont à même de promouvoir au sein de la population une nouvelle dynamique économique. Et pourtant, parfois le potentiel de ressources peut être non négligeable. C'est le cas des communautés du littoral Pacifique de San Juan de la Costa, pouvant compter avec les ressources de la forêt de la Cordillère côtière et de la mer. Environ 15 000 hectares, pour la plupart boisées (essences de grande qualité) sont le territoire des cinq communautés que nous connaissons (150 familles environ). Richesse forestière - y compris alerzales - exploitée à perte et dans la précarité bien entendu; abondance et diversité de la faune marine; trois plages balnéaires de grande beauté…Tout cela à 60 km de la capitale provinciale (130 000 habitants), et de la route Panaméricaine. Les indiens contrôlant le littoral personne d’autre ne peut envisager un projet touristique global.
Avec leurs titres de propriété (enfin!), les maigres entrées provenant de la forêt, les quelques programmes isolés qui viennent rompre la routine (dans une communauté un restaurant touristique tenu par un groupe de jeunes, dans une autre un petit projet d'aménagement de la forêt primaire, dans une troisième encore un camping au bord de la plage), avec tout ça, les habitants indigènes du littoral ne peuvent prétendre à une construction sociale maîtrisée de leur territoire. Il leur manque une vision stratégique d'ensemble qui les permettrait passer d'un système précaire et traditionnel de protection/désprotection fonctionnant à l’échelon d’une communauté isolée, à la gestion d'un modèle littoral d'ethno développement. Mais, comment passer du contrôle effectif de l’espace littoral à la gestion du développement dans le littoral ? Voilà la question!
Cette nouvelle démarche exige, bien entendu, un autre type de leadership et la définition d'un autre échelon de travail. Ce n’est ni l’échelon communautaire ni l’échelon de l’ensemble huilliche d’Osorno. C’est l’échelon local, littoral. Obligation du retour au local donc, avec d'autres outils théoriques et pratiques permettant de passer du revendicatif au créatif, de la reconnaissance légale de l'identité à son épanouissement par l'initiative des acteurs de base eux-mêmes. Ici on ne fera référence qu'à quelques unes des multiples implications.
Tout d'abord, il s'agirait de ne plus adhérer au vieil paradigme d’assimiler ces indiens des forêts et du littoral à un quelconque paysannat pauvre. De tout faire pour créer tout d’abord une associativité locale permettant d'envisager la gestion du milieu naturel côtier comme un ensemble intégré. Cela n'est possible qu'avec la contribution de chacune des communautés, car la préservation du littoral, la régulation des équilibres écologiques et l'exploitation convenable des ressources forestiers et maritimes n'est pas une affaire de quelques parcelles de telle ou telle communauté, ou d’une simple décision communautaire, mais d'une échelle de gestion intercommunautaire. Là, on choppe d’emblée sur les écueils: le fonctionnement encore isolé de chaque communauté, la persistance d'anciens clivages intercommunautaires, les tensions interfamiliales et les inscriptions politiques excluantes. La notion de médiation pour le développement prendrais ici toute sa place: les acteurs indigènes ont besoin de se mettre d'accord sur le long terme, sur l'espace d'une génération au moins. Cette notion et les modalités qui leurs sont propres permet dans un premier temps de contourner ou de passer par dessus des litiges, des tensions et des contingences du court terme, pour se porter sur l'avenir et définir les grandes lignes d'un projet stratégique. La gestion soutenable des ressources ne peut être envisagé que dans le long terme…
La notion même de durabilité du développement exige comme condition la coordination des acteurs. Tout simplement parce qu'il s'agit d'un concept qui n'est inscrit nul part dans les logiques de l'économie capitaliste et parce qu’il s'agit d'un concept à contenu surtout éthique, dont sa viabilité va dépendre de la capacité des acteurs à s’entendre et à coordonner leurs actions visant à dégager des consensus et à pouvoir négocier avec d'autres.
Il faudra aussi que les indiens des communautés s’approprient d’autres notions : de la médiation il leur faut passer aux négociations en relation aux lignes du développement, et aux contrats en relation aux engagements des acteurs surtout pour le moyen et long terme. La formation, comme le principal atout de la société locale future devrait être contractualisée la première.
La patrimonialisation comme démarche du développement locale signifie le passage du territoire identitaire au territoire/ projet fondé sur une vision large, aussi bien de la notion de patrimoine (version ethnologique) que de la notion de territoire de l’identité.
L'articulation avec l'extérieur d’un projet littoral : signifie une mise en avant de la territorialité de l'identité, pour indiquer que le territoire de l'identité est un espace ouvert, un pont pour pratiquer l’inter culturalité, et qu'il peut être conçu même comme virtuel. Deux expressions "externes" de cette territorialité souple et de cette conception “pragmatique” du patrimoine, peuvent être ce que j’appelle l'installation d'antennes ethniques : à Osorno, un Complexe Culturel Huilliche, et à Monte Verde (27 km. de Puerto Montt) le Musée Précolombien, témoignant du site le plus ancien du continent.
Conclusion
Le cas commenté est une illustration de l’importance de la tâche que les chercheurs doivent assumer, et du coté des indigènes des limites de la reconnaissance des droits. On nous dit qu’on est entré concernant, les populations autochtones dans une nouvelle période: plus ou moins partout la reconnaissance légale ou constitutionnelle de la différence tends à s’imposer. Cette évolution a été le fait de l’action éclairée de certains leaders indigènes qui ont pu compter sur le soutien théorique et pratique d’anthropologues et d’autres spécialistes des sciences sociales, ainsi que de missionnaires religieux. Mais la reconnaissance légale des droits politiques et culturels ne suffit pas pour assurer le réconfort de l’identité. Une aide aussi théorique que pratique de la part des intervenantes extérieures destiné à aider les communautés à s'approprier elles mêmes d'une capacité stratégique visant une modernisation de leurs territoires et avec cela une revalorisation effective et permanente de leur identité collective est indispensable.
(Mai, 2002)