SALVADOR ALLENDE

SALVADOR ALLENDE, NARCISSISME, CRISE ET FAILLITE DE LA GAUCHE CHILIENNE

(Traduction de l’article paru en espagnol in Ecuador Debate, n° 68, agosto 2006, Quito)..

Roberto Santana

À fin de mieux comprendre les processus historiques contemporains autant du Chili que de l’Amérique Latine je crois qu’il faut revenir sur le rôle des individus dans l'Histoire et notamment celui des chefs o des dirigeants politiques. La prolifération des études sociologiques sur les mouvements sociaux, sur les organisations et les structures, et plus récemment les études concernant la "société civile" ont contribué à la disparition de l'individu dans l'histoire, à l’effacement des leaders, charismatiques ou non, lesquels si bien s’éloignent de plus en plus de la figure classique du héros jouent toutefois des rôles centraux dans les processus de type démocratique, populiste ou révolutionnaire. Assurément, le phénomène est conforté par la pauvreté locale d’études historiques contemporaines et la rareté des essais d’histoire "du temps présent".

Jusqu'à quel point, dans l'activité politique et culturelle peuvent jouer un rôle important, et parfois décisif, les facteurs conformant la personnalité des chefs, leurs motivations personnelles profondes, leurs idéaux narcissiques ? Cette interrogation contient une problématique rarement abordée par les sociologues, les politologues ou les historiens et se trouve pratiquement absente dans les études connues sur l'expérience de la gauche chilienne des années de l'Unité Populaire. Je prétends que le rôle des responsables politiques a été déterminant au cours des événements et dans le dénouement final, de la même manière qu’il faut considérer comme relevant le degré d'autonomie politique acquis au cours des événements par de vastes secteurs de travailleurs radicalisés de la ville et  de la campagne.

Le cas de Salvador Allende, son rôle dans la création de l'Unité Populaire et ensuite sa manière de concevoir l’autorité présidentielle à la tête du gouvernement réformiste, me paraît une problématique cruciale pour comprendre le jeu politique et les enjeux du Chili des années 1970 à 1973. Ses motivations réformistes voire révolutionnaires doivent êtres confrontés à son comportement de gouvernant, à sa relation avec les partis de la coalition et à sa vision personnelle du "peuple". C'est ce que je me propose de faire dans cet essai, construit sur une tentative de mettre en rapport comportement politique et profil psychanalytique du personnage. J'ai pleine conscience que l'exercice n'est pas commode et non sans danger car je vais faire appel à un domaine d'interprétation scientifique qui n’est pas le mien et qui par ailleurs est quelque peu controversé dans les milieux scientifiques. Mais, en même temps, je me rends compte que l’entreprise peut s’avérer passionnante. Il ne s’agit pas, bien entendu, de réduire la totalité de la situation historique à une de ses figures centrales, mais le rôle d'Allende me paraît crucial pour mieux comprendre le dénouement final d'un processus vécu comme une crise durable et qu'il a laissé s'intensifier tout le long de son gouvernement.

La persévérance d’Allende dans l’objectif de construire une union des différentes forces politiques de gauche, correspond chez lui à une idée ancienne qui prends forme déjà à l'époque de sa participation à la campagne politique qui permit le triomphe du Front Populaire en 1939 suivi de l'obtention, très jeune, du poste de Ministre de la santé dans le gouvernement du président Pedro Aguirre Cerda. On peut affirmer, sans crainte d’être réfuté, que derrière cette idée de regroupement ou d'union des forces de gauche se dissimulait le projet personnel d'arriver un jour à la présidence de la République, désir profond qui allait dominer sa vie politique. La réalisation du rêve caressé n’était possible qu’en passant par la lourde entreprise de construction d’une coalition de forces populaires.

Sa première candidature à la présidence datait de 1952, quand des courants socialistes divergents, en dissidence avec le Parti Socialiste Populaire dirigé par Raúl Ampuero plus idéologue que Salvador Allende, se rapprochèrent pour la première fois du proscrit Parti Communiste pour créer ensemble, avec beaucoup d’improvisation, le Front du Peuple, coalition  destinée à récupérer au moins une partie de l’électorat ouvrier majoritairement attiré par la candidature populiste de Carlos Ibáñez. Même si sa candidature ne bénéficia que d’une partie infime des voix exprimées, elle sera le point de départ d'une ligne politique et d'une action persévérante de Salvador Allende pour le regroupement des mouvements et des partis populaires, marxistes ou proches du marxisme. Une nouvelle tentative manquée, d'arriver à la présidence en 1958 cette fois avec le FRAP sera suivie par une troisième en 1964, également perdue, jusqu'à ce qu'avec l'Unité Populaire il triomphe en 1970 avec un peu plus du tiers de l'électorat national.

Gagnant, avec une coalition où les deux partis hégémoniques, le Parti Communiste et le Parti Socialiste, étaient loin d'avoir les mêmes projets stratégiques, la même volonté de se conformer à la voie démocratique du changement et la même capacité de discipliner leurs actions politiques. Le Parti Communiste déclara sans ambiguïté son intention de rester fidèle à son option pour "la voie pacifique" définie en 1960 pour la transition au socialisme, renonçant à la lutte armée – se gardant d’utiliser la pression au travers la mobilisation de masses à fin d’affaiblir et à long terme mettre en échec l'ennemi de classe – mais il se méfiait d’Allende, dont sa candidature lui avait été imposée par le PS. La direction du Parti Communiste aurait préféré plutôt une personnalité de gauche relativement indépendante. Le Parti Socialiste, au contraire, arriva au gouvernement dans la confusion politique, sans avoir renoncé à son tout frai programme rupturiste sorti du Congrès de Chillán de 1967, où il rejetait la voie électorale comme moyen de conquête du pouvoir et voyait dans la violence révolutionnaire l'unique ressort : "La violence révolutionnaire est inévitable et légitime... les formes pacifiques et légales de lutte (...) ne conduisent pas, par elles mêmes, au pouvoir. Le Parti socialiste considère celles-ci comme des instruments limités d'action au sein du processus politique qui nous emmène forcément à la lutte armée “  (Paul Drake, 1992, 282).

La vie politique d'Allende était jusqu'alors marquée par une orientation plus sociale-démocrate que révolutionnaire, indépendamment d'une adhésion publique au marxisme et d'un discours fréquemment révolutionnaire. Sa conception plutôt démocratique du socialisme l’avait toujours placé loin du communisme d'obéissance soviétique et, paraît-il, loin d’une espèce de "communisme nationaliste" prôné à la fin des années 40 et débuts des 50 par quelques chefs prestigieux du socialisme chilien, entre eux Raul Ampuero, intéressés à rapprocher des secteurs ouvriers un appareil qui continuait à recruter largement au sein des couches moyennes. Dans son propre parti, des années de l'Unité Populaire, traversé par la confrontation de diverses fractions, Allende resta toujours loin des positions radicales représentées principalement par Carlos Altamirano, ni plus ni moins secrétaire général du Parti. Tout au long de son gouvernement, les différences entre les deux homes ne feront que s’approfondir.

Le Parti Socialiste qu’arrive au gouvernement avec l'Unité Populaire était donc une organisation politique hétérogène qui, tout en s’identifiant à la classe ouvrière, accueillait secteurs significatifs des couches moyennes et même de la bourgeoisie. Bien qu'adhérant au marxisme et que son discours prenait parfois des accents léninistes, il restait toujours un parti fondamentalement populiste à prétentions révolutionnaires. Du point de vue de l'appareil politique, de l'organisation interne et du mode de fonctionnement il n'avait guère changé depuis les années 1950 quand nous, les communistes, le voyons avec un certain dédain “prolétarien” le considérant  comme un parti de "compères" conduit par de "chefs" parfois improvisées dans l’ensemble de la hiérarchie. Une vie organique flexible, voire très libérale, une conception de la révolution comme produit du spontanéisme des masses, un discours éloigné de la pratique militante et une direction sortie des couches moyennes. Une direction, en effet, composée d’intellectuels et de professionnels, plutôt éloignés de la vie productive et de la quotidienneté des classes travailleuses, tels étaient les traits identitaires du Parti Socialiste de Salvador Allende.

Dans les échelons intermédiaires et de base, au lieu de véritables structures, le Parti Socialiste devait son existence et dynamisme surtout à des caciques locaux et/ou régionaux dont le dévouement au service du peuple était une vocation très affirmée, mais dont le mode de fonctionnement était essentiellement celui de chefs de clientèles. Ils avaient peu à dire quant à la définition de politique nationale, mais étaient généralement très fidèles à l'adhésion partisane et, de ce fait, enclins à stimuler les débordements suivant l'orientation de la direction centrale. Plusieurs d’entre eux allaient  favoriser les activités du MIR à la campagne et dans les syndicats urbains.

 

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La possibilité de "débordement" du programme réformiste était donc dans l’air, et l’on pouvait espérer qu’Allende, homme plutôt pragmatique, modéré et prudent, ayant toujours œuvré en faveur des positions réformistes démocratiques et contribué depuis 1958, avec persévérance, à la création de coalitions électorales de type populaire, allait prêter la plus grande attention au danger latent venant notamment de son propre parti. On pouvait imaginer qu’il allait  tout faire pour écarter la menace d'échec de son gouvernement à cause de l’extrême gauche. D’autant plus que son accession au poste de premier mandataire le 3 novembre 1970 n’a été possible qu’en passant par un accord de respect des garanties constitutionnelles signé entre l’Unité Populaire et le parti de la Démocratie Chrétienne (PDC). On pouvait imaginer naturellement qu’Allende avait pensé sérieusement à la bonne parade des débordements, qu’il allait se méfier des extrémismes, mais les événements allaient démontrer que ceci n’a pas été.

L'unité de la gauche triomphante avait alors l’allure d’un cocktail explosif, contenant un danger latent pour l'accomplissement du programme réformiste de gouvernement dans la légalité démocratique. En cherchant une première explication à l'échec de l'expérience, on peut penser qu’Allende a sous-estimé la force idéologique du courant révolutionnaire de son propre parti, en même temps que surévalué sa capacité personnelle de manœuvre pour contenir les tendances au "débordement". On peut suggérer qu'il était sûr de posséder la suffisante poigne politique pour neutraliser non seulement les excès de son parti mais aussi de ses amis du MIR, avec lesquels il allait établir une sorte d'alliance extra - maritale.

En fait il n’aura pas la capacité de contenir les débordements de l’aile gauchiste de son parti, ni du MIR ni d’autres secteurs radicalisés minoritaires dans l’Unité Populaire. Par ces ironies de l'histoire, Allende allait se trouver le long de son bref gouvernement, souvent très proche des positions du Parti Communiste resté fidèle à son engagement de respecter le cadre démocratique défini pour les réformes, tandis que la distance entre lui et son propre parti ne fera que s’accroître. Les efforts d’Allende de conserver l'unité au sommet de la coalition et, surtout de se maintenir à la tête du gouvernement, allait être constamment exposé aux tensions provoquées par cette bipolarité de réformisme et révolution, deux positions antagonistes en jeu qui favorisait la neutralisation de tous les efforts de construire une politique commune.

Quand l’ingouvernabilité s’installe, quand le pouvoir effectif se trouve plutôt « dans la rue », quand le danger d'une intervention des Forces Armées est déjà un sujet quotidien de conversation le président Allende ne va à aucun moment essayer de forcer la main à l’Unité Populaire et à imposer ses prérogatives présidentielles, à la recherche d’une clarification politique. Il ne pouvait imaginer l’idée de remettre en question la validité de la coalition au gouvernement. Seulement dans les jours précédant le coup d'État, précisément le 28 août, il pose l’éventualité de sa démission, mais en se gardant de toute décision personnelle et en imposant quelques conditions: « Je n’hésiterais pas un instant à démissionner si les travailleurs, les paysans, les cadres, les partis de l’Unité  Populaire…me le demandaient ou me le suggéreraient » (Joan Garcés 1976, 237).

Même à cette date, la question n’était absolument pas à l’ordre du jour, étant donné l’intérêt persistant des partis de la coalition de ne pas se séparer de l’Etat. En réalité, la question de discipliner le processus politique, de forcer le consensus à l'intérieur de l'alliance pour assurer la viabilité du programme de réformes par la voie pacifique, était brutalement posé déjà à la fin de 1971. Cependant, le président allait laisser s’écouler le temps, sans chercher à imposer sa direction, sans menacer jamais qu'il pourrait bien, dans une sorte de chantage - qui aurait été parfaitement justifiable -, faire abandon de son poste de premier mandataire faute des conditions politiques indispensables pour gouverner. Craignait -il provoquer un conflit avec la coalition? Assurément, car cela pouvait signifier la fin de l’Unité Populaire et par conséquent, ce qui était le plus important, la fin de son mandat présidentiel. A tel point Allende était intéressé à conserver à tout prix l'unité de la coalition, pour précisément conserver la charge de premier mandataire, qu’il n’hésitera pas à imaginer une solution insensé qui prends forme à partir de 1972 : que les institutions militaires pouvaient venir en appui de l'Unité Populaire en l’aidant à sortir de la crise de gouvernement.

Face à l’impossibilité d’unifier les critères de ses alliés politiques en vue de donner cohérence et discipline à l'action gouvernementale, Allende, tout en cherchant à éviter la rupture avec l'un ou l'autre, semble avoir décidé de ne jamais se montrer comme le chef politique de la coalition et de ne pas revendiquer le pouvoir de décision pour en finir avec les divergences et les tensions existantes entre les partis. Au contraire, il a préféré adopter, comme l’exprima d’ailleurs à plusieurs reprises, le profil bas d’une sorte de "coordinateur" de l'Unité Populaire, d'animateur de la bonne entente entre les partis tout en sachant que des contradictions insolubles existaient, tant quant à la stratégie que quant aux rythmes et aux méthodes. En se tenant à cette position inconfortable, le président contribua à maintenir le facteur déterminant de l'ingouvernabilité, c’est-à-dire, l'autonomie complète des divers composants de la coalition, ceux qui dans leurs "forteresses" à l'intérieur de l'État et dans leurs quartiers généraux n'obéissaient qu’à leurs intérêts et objectifs partisans. Le véritable « charcutage» pratiqué sur l'État, conséquence de l’attribution de quotas ou parcelles institutionnelles aux partis ( politique du "cuoteo" ) n'a fait autre chose que renforcer le jeu des forces centrifuges de l'Unité Populaire. Le principal conseiller politique d’Allende a fait le constat suivant: « Tout au long de la période 1970-1973, les partis de l’UP ne se proposèrent jamais de créer un climat de confiance, de respect et de discipline à l’égard du comité politique de l’UP, ni du gouvernement- en tant qu’institution ouverte – ni d’Allende en sa qualité de représentant commun » (Joan Garcés, 1976, 167)

Cette position d’Allende de se conformer au "non- commandement" des forces politiques qui le soutenaient est hautement significative, et je dois insister sur l'hypothèse selon laquelle ce qu'importait viscéralement à Allende, au dessus de toute autre considération, était l'objectif de conserver, à tout prix, le poste de président de la république et de terminer normalement la période de son mandat. Comment imaginer l’abandon d’un rôle pour lequel avait-t-il investi le meilleur de sa vie et était la source d’une véritable "plénitude narcissique"? Nous voilà arrivés à la véritable question : n’est-il pas à un rapprochement de type freudien qu’il convient de renvoyer le comportement d’Allende tout le long de la crise prolongée du gouvernement de l'Unité Populaire?

Pourquoi se montra-il incapable de prendre de décisions, au risque de provoquer une rupture aux moments de crises aigues qui se sont succédé entre les années 1971 et 1973, à propos notamment d’un référendum[1] sur les limites et les moyens d’appliquer les réformes, de nationaliser les entreprises stratégiques et de créer le Secteur Social de l’économie[2], d’organiser les exploitations agricoles « reformées »[3]. Pourquoi n’a-t-il pas cherché une négociation à propos des relations entre l’exécutif et le Parlement[4], entre l’UP et le PDC ?, Pourquoi n’a-t-il pas voulu écarter du haut commandement militaire les généraux conspirateurs[5]? Pourquoi permettra-t-il que les débordements provoqués par l'extrême gauche débouchent sur une situation de chaos social et d’ingouvernabilité?, Pourquoi n’a-t-il empêché la décomposition de l'État - le meilleur atout pour gouverner et assurer les changements - provoquée par le jeu des intérêts et appétits partisans?, Pourquoi, dans l'incapacité de gouverner en démocratie ou de se mettre à la tête d’une insurrection révolutionnaire n’a-t-il pris le chemin d'abandonner sa fonction et éviter une catastrophe politique majeure, en évitant ainsi des souffrances à la population? Toutes ces questions restent dans l'air si l’on n’essai pas de comprendre les motivations profondes du personnage.

Tout se passe comme à mon avis comme si, une fois au palais de La Moneda, l’objectif d’Allende, par-dessus tout, était d’y rester. Quel enjeu personnel que celui de conserver le rôle conquis, même si, en contrepartie, il n’était pas commode, car signifiait aussi "ne pas démériter" aux yeux du peuple idéalisé! Pour personne n’est passé inaperçu - et les observateurs de l'époque n'ont cessé de le souligner- jusqu’à quel point, transformé en chef d'État, Allende allait manifester une appropriation intime du prestige lié au poste de premier mandataire, se montrant très intransigeant vis-à-vis de la dignité présidentielle et de ses prérogatives formelles, dissimulant mal jusqu'à quel point il avait développé une haute idée de la fonction. Or, la fonction, dans son cas particulier, était intimement attachée à l'affection populaire ("le compagnon Président") et celle-ci était pour l'homme politique le retour espéré d'un long investissement dans ce vieil Idéal si difficilement travaillé qui était le "peuple". La notion d’Ideal, c’est bien une notion qui doit être associé au narcissisme.

Tout narcissisme est déterminé par la relation à un objet introjecté, idéalisé qui, sur le plan du fantasme, constitue une partie de soi ou du corps propre (Thierry Simonelli, 2003). Selon cet auteur, l'état narcissiste se caractérise par un transfert de l'investissement sur les objets externes vers les objets fantasmatiques internes, résultant ainsi que le Moi surévalué du sujet est intimement attaché à son Idéal. Ce qui nous donne des éléments pour comprendre pourquoi Allende avait pris parti de manière si tranchante et exclusive pour le peuple jusqu’en allant à dire: "je ne suis pas le président de tous les Chiliens" ainsi que, en revanche, farouchement méprisant et dédaigneux envers la bourgeoisie et ses proches.

Tout en idéalisant les caractéristiques ou les vertus de l'Un, il dévalorisait le profil de l'Autre. On peut voir dans cette bipolarisation rigide de la réalité sociale opéré par l’homme politique - absolument indispensable à son équilibre personnel - un facteur décisif de son faible ou aucun intérêt à négocier en conditions favorables avec le Parti Démocratie Chrétienne (parti des couches moyennes dans l’opposition) à fin de neutraliser les agissements de la droite mais aussi à fin de récupérer la perdue capacité de gestion de l'État. Sur ces deux plans, l’on pouvait pourtant entrevoir un sauvetage du gouvernement et de la démocratie chilienne dès les débuts de 1972. Agissant gauchement toujours en position de faiblesse, il ne se décidera à négocier avec le PDC, curieusement, q’après le refus de ses propositions aux instances de l’UP, comme si, d’emblée, il ne croyait pas à la possibilité de réussite des conversations, ou mieux encore, comme s’il craignait qu’un éventuel succès des négociations ne se retourne contre lui, au détriment de son image, le peuple lui reprochant de trahison.

L'idéalisation du peuple, cet objet dont bénéficiait en retour l'Ego de l’homme politique, acquiert à ses yeux des vertus surévaluées: le peuple était un être sans failles, sans faiblesses, sans opportunismes, sans passions déviantes, sans haine, c'est-à-dire un univers formé d'individus foncièrement bons, qui ne voient que le bien d’autrui et la fraternité, bien entendu, l'ennemi de classe exclu. Dans Allende, l'illusion semblait dominer sur la réalité et, peut-être, explique-t-elle le comportement affectueux bien que toujours très formel avec des gens du peuple, ainsi que l'attitude essentiellement paternaliste du président à l’égard des secteurs populaires impliqués dans des "actions directes" ou dans des "occupations" d’entreprises et de fundos. Attitude similaire envers ceux qu’étaient impliqués dans le marché noir, dans la corruption, ou encore, dans des actes de vengeance personnelle, actions toutes hors la loi. Tout cela contrastait avec la nécessité d'assurer au moins à gauche les conditions de gouvernabilité indispensables.

Tout en mettant sous tension l'activité pulsionnelle représentée et dirigée par le Moi, l'excès de narcissisme peut très bien s'opposer à ce dernier, et peut déterminer que les intérêts les mieux conçus du sujet perdent toute leur importance face au désir de satisfaire une nécessité narcissique (Bela Grunberger 2003).  En d'autres termes, le sujet peut tout perdre pour ne pas "perdre la face", c'est-à-dire, pour sauver surtout l'estime de lui-même, en satisfaisant de cette manière son égotisme. Comment ne pas lier cette assertion psychanalytique à ces moments où, tandis que tout le peuple de gauche (la définition du mot « peuple » étant toujours floue) attendait de décisions claires du gouvernement, le président se mettait en retrait, occupé inutilement à convaincre ses alliés de l’UP, ou à imaginer une manœuvre politique qui lui permettrait de sortir la "tête haute", même si la solution n'était que provisoire et/ou partielle. Le véritable enjeu semblait être que le narcissisme du président soit à tout prix épargné. Les psychanalystes ont souligné aussi (Pierre Dessuant, 2004) comment à côté du goût du plaisir on trouve chez les individus une sorte de force, une pulsion incoercible et inconsciente qui porte, dans quelques cas, le sujet à s’installer activement au centre de situations désagréables, voire catastrophiques. Même s'il a conscience que ce type de situations sont motivées par des expériences bien réelles et présentes, le sujet va prendre distance de la réalité, pour répéter inconsciemment des anciennes expériences, dans le cas qui nous intéresse, les expériences politiques passées.

Des caractéristiques de la personnalité politique d'Allende, prenons l'exemple de sa confiance exagérée dans ses capacités de sortir gagnant de l'exercice de ce qu’au Chili est populairement connu comme « muñequeo » politique (art de la manœuvre). Pendant son gouvernement, on peut observer, effectivement, la priorité qu’il accorde au mécanisme de la manœuvre politique comme porte de sortie aux impasses où lui placent les contradictions et les blocus de l'Unité Populaire ou les actions déstabilisantes mises en œuvre par l'opposition de droite. Tous les observateurs de la vie politique chilienne de cette époque ont souligné cette capacité extraordinaire acquise dans une longue trajectoire parlementaire. Il en était conscient, et bien sûr très fier de cette reconnaissance publique de son habilité politique. On peut imaginer que cela ne faisait que nourrir la grande passion pour sa propre personne. Or, ni lui, ni ces observateurs-là ne prenaient en considération que si bien l'exercice s’avérât efficace et rentable dans les conditions de normalité démocratique et institutionnelle - quand toute transaction politique commençait dans un bar ou dans des conciliabules restreints, en tout cas loin du bruit de la rue - la situation  à affronter en 1973 en était tout autre. Rien ne pouvait être résolu dans le secret, ni au sein de la franc-maçonnerie, espace que le Président continuait à pratiquer comme membre actif. Le contexte de 1971-1973 est d’une tout autre nature. Il s'agissait alors d’assurer la direction d’un processus de masses complexe à l’extrême, qui obligeait à se positionner stratégiquement sur le cours de l'histoire de la patrie, qui échappait grandement à la gestion habituelle et qui, surtout, devait être traité face à un peuple qui, dans les circonstances, s'était investi d'un rôle d'acteur de premier plan. Essayer de dépasser la crise moyennant le mécanisme de la manœuvre politicienne décrit, bien que réconfortant pour le président, ne pouvait fournir qu’une solution en apparence et n'assurait pas vraiment la continuité sans faille de l'adhésion populaire.

 

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Dans ce contexte, à la veille du coup d’Etat du 11 septembre, Allende croyait encore pouvoir sauver la situation moyennant le mécanisme habituel de la manœuvre habile, cherchant l'adhésion ou la neutralisation des forces armées via l’incorporation de généraux amis, d'abord au ministère de mines, puis au ministère de l'intérieur et enfin, dans d’autres responsabilités gouvernementales. De ces manœuvres, dont l’initiative lui revenait, il sortait chaque fois très heureux et fier de lui, croyant même, naïvement, avoir sauvé la situation. C’est sans doute  pour cela qu’il rejette l’initiative des forces armées (mois de juillet) d’engager de conversations à partir des propositions de l’Etat Major, se refusant de recevoir les trois commandants en chef, tout en leur signifiant que le règlement interdisait les forces armées de prendre des initiatives politiques. Pointillisme hors du temps sur ses prérogatives présidentielles ?, Sous - estimation de la gravité de la crise ?

Quoi qu’il en soit, le 31 août 1973, dans le paroxysme de la crise avant le coup d’Etat, , Allende était encore dans l’illusion en disant à son principal conseiller politique, Joan Garcés : « Dans cette partie où tous les joueurs cachent leur jeu j’ai aussi quelques atouts secrets » en faisant allusion certainement à des hypothétiques appuis au sein de l’armée de terre (Joan Garcés, 1976). On peu se demander sur cette perte de sens de la réalité : Perte de lucidité ? Culte de l'immédiat avec sous estimation de la valeur stratégique ? En tout cas, à cette date, les conditions n'existaient nullement pour imaginer la viabilité d’une autre stratégie, par exemple une sorte d'autoritarisme populiste avec Allende à la tête et les militaires associés à l'Unité Populaire, plate-forme politique élargie totalement fantomatique.

L'identification du sujet à l’objet idéal (« le peuple »), tiendra une influence décisive dans le comportement du président. À propos de cette identification du Moi à l'objet, divers auteurs ont montré l'utilisation de celle-ci dans le renforcement de l'investissement narcissiste : une telle identification s'inscrit dans la dialectique amour de l'objet (le peuple) – besoins narcissiques du Moi (le chef). "L'identification sert tantôt l'amour objectal, tantôt les besoins narcissiques du moi, plus souvent les deux à la fois et de telle façon que chacun de ces buts est parfois difficile à distinguer de l’autre " (P Dessuant, 2004, 122).  A tel point Allende avait développé cette identification à l'objet narcissique qu’il ne voyait pas d’inconvénient à l'expliciter publiquement: "avec mon triomphe le peuple est entré à La Moneda", ou encore, "le peuple est le gouvernement". En entrevue à Régis Debray (203, 36) en janvier 1971, Allende s’est exprimé ainsi: "... un peuple uni, un peuple conscient de sa tâche historique, est un peuple invincible, surtout quand il y a des dirigeants conséquents, quand il y a des hommes capables de comprendre le peuple, de sentir qu'ils sont le peuple transformé en gouvernement » ". Donc, chef = peuple, transformé en gouvernement!!! La forte identification à cet objet, bien que rentabilisé par le sujet dans son affirmation narcissique, avait en contrepartie le danger de la fragilité inhérente à toute relation libidinale, la relaxation de la relation pouvant provoquer un repli sur le Moi du sujet. Et, comme les psychanalystes s’accordent à dire, ce repli est par essence dangereux.

La fixation d’Allende sur son identification au peuple sera soumise à dure épreuve par l'affaiblissement de la relation narcissique. La détérioration de celle-ci découlait de l’accumulation d’indécision, d’hésitations de toutes sortes, des silences fréquents du président, sur un contexte de manque de biens et de services allant parfois jusqu’à l’exaspération. Le distancement, entre le gouvernement et les masses populaires, chaque fois plus radicalisées et mécontentes, avait sa raison d’être : le libre cours des passions populaires déchaînées, ne provoquait ni une impulsion pour ouvrir largement la voie au processus révolutionnaire, ni non plus, une réaction venant du gouvernement destiné à maîtriser la dynamique sociale dérapant. La résignation populaire s’exprimait depuis la fin de 1971 dans cette formule hautement significative, irrationnelle et démoralisante: "ce gouvernement est une merde, mais c’est notre gouvernement". Alain Touraine (1973), observateur du processus Chilien entre juillet et septembre 1973 a résumé avec acuité cet état de choses le 17 août, dans un moment de répit de la grande grève insurrectionnelle des transporteurs: « Le Chili vient de vivre hors du monde politique, plongé dans le "social": poussée populaire, contre poussée de groupes de classe moyenne, grèves et manifestations. Il n'y a plus de classe dirigeante, pas davantage de gouvernement, et on se demande par moments s'il existe d'autres partis que le PC et le PDC, sauf quand il s'agit de se répartir les fromages de la bureaucratie de l'État et les accès au marché noir » (p 71). Une adhésion populaire restait mais mitigée, obligée par les circonstances.

De son côté, Allende ne pouvait pas ne pas s’en apercevoir  que son image se détériorait dans la mesure où sa relation de confiance avec le peuple s’affaiblissait du fait de la crise de gouvernabilité. C’était, pour lui, un signe que l'heure de vérité était en train d’arriver. Sa seule possibilité de relancer le lien identificatoire était que lui, Salvador Allende, assumât la condition de véritable révolutionnaire, compatible avec ce que dans ses discours il n'avait cessé de répéter face au peuple durant les années précédant son triomphe électoral. Mais ceci était impossible pour quelqu'un ayant une carrière politique de quarante ans dans les pratiques et dans les lieux de la démocratie parlementaire, qui respectait le caractère institutionnel de l'État et qui ne s’était jamais préparé ni psychologiquement ni matériellement pour embrasser ce rôle exigeant en audace, naturellement exposé, abondant en dangers et de destin incertain, profil propre du révolutionnaire. En 1970, Allende s’identifiait, par contre, avec le style plus confortable du social-démocrate, propre de l'aile centre droite du Parti Socialiste (Paul Drake, 1992)

Les discours et les représentations qui avaient contribué à cultiver le côté révolutionnaire du personnage ne suffiront pas à combler la brèche provoquée par la perception d'une perte progressive de l'objet, c'est-à-dire, perte de la confiance et, pire encore, perte de l'amour du peuple.

Le contraste entre le discours révolutionnaire d’Allende et ses pratiques de démocrate progressiste a été interprété par les analystes sous l’angle peu révélateur d’ « ambiguïté » qui ne rend pas compte du fait essentiel : que l'acteur principal insertaba une telle charge subjective dans ses options que la solution (ou la non - solution) du problème posé était toujours à caractère narcissique, d’où sa difficulté ou  son incapacité de la remplacer par d’autres solutions.

Le comportement d’Allende est complètement cohérent avec lui-même : puisqu’il est incapable d'imposer une solution unificatrice venant d’ « en haut » aux contradictions des partis de l'Unité Populaire, il laisse la recherche de solution aux autres, tout en restant fidèle à la définition que lui-même donnait de son rôle : "un coordinateur pour assurer l'unité", unité que, hélas !, s’est toujours montrée plus fictive que réelle, mais qui ne mettra jamais en cause son rôle de premier mandataire. Face à l’exigence  d’ « unité », mille fois répétée par le peuple, connaisseur critique des divergences visibles et profondes existantes au sein de la coalition, Allende ne pouvait rien. 

Le côté "révolutionnaire" du discours allendiste a son explication dans le besoin permanent du renforcement narcissique. S'il s'agissait de maintenir une relation forte à l'Idéal, impossible durant les années de la Révolution cubaine d'arriver à la présidence du Chili soutenu par des forces populaires sans aller forcément rendre hommage à Fidel Castro et aux réalisations de la révolution des Caraïbes. Ceci allait de soi pour le peuple, et pour Salvador Allende représentait une nécessité vitale. Seulement que, dans son enthousiasme, il va aller trop loin dans la relation, presque fantasmant une confusion de rôles avec Fidel Castro, en compromettant de cette façon son destin personnel et le destin du processus politique chilien:

- Il décide de devenir l’ami personnel de Fidel Castro, tout en laissant dans l'atmosphère l'idée qu'il suivra ses pas (geste symbolique: photographie avec le fusil Kalachnikov offert par Fidel);

- Il laisse que son milieu le plus proche soit infiltré : sa fille Béatrice, conseillère personnelle du président, est miriste et mariée avec le responsable des services de renseignements cubains pour le Chili ; il rencontre fréquemment en famille son neveu Pascal Allende, l’un des fondateurs du MIR et membre de la direction centrale. Ses relations sont amicales bien que sporadiques avec Miguel Enríquez, principal dirigeant du MIR et, enfin, il introduit le mirisme au sein même de son cabinet présidentiel : sa secrétaire de cabinet est la Payita, elle aussi miriste.

- Il invite Fidel Castro visiter le pays au moment le plus inopportun, précisément quand  la réaction de la droite aux mesures prises par le gouvernement commence à s’endurcir sérieusement et la visite cubaine ne pouvait que l'exacerber. L’effet  ne pouvait être plus négatif, d'autant plus que Fidel s’est montré comme un hôte encombrant, restant tout un mois au pays sans rester neutre à propos de la politique interne, à tel point qu'une partie de la gauche commença à trouver cela excessif et à s'inquiéter sérieusement.

 

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Est-ce que la prise en compte de la faiblesse de son propre parti, ou l'idée quelque peu confuse que le MIR, parrainé par les services de renseignements cubains, représentait un bon aval à son image de révolutionnaire, qui expliquerait en Allende la recherche d’une telle proximité ?, cela en dépit du rejet presque "biologique" que le Parti Communiste manifestait pour ce groupuscule d'extrême gauche…En tout état de cause, la faillite du réformisme de l'Unité Populaire est liée en grande partie aux relations ambiguës qui se sont nouées entre le président Allende et le minuscule parti d'extrême gauche qu’était le MIR à l'époque de son triomphe électoral. Celui-ci étant, cependant, étroitement lié à de certaines fractions radicalisées du PS, soit pour des raisons de sympathie, soit parce que le MIR pratiquait l’infiltration dans les files socialistes. Est-ce qu’un imaginaire fantasmatique, une sorte de romantisme révolutionnaire ou le désir profond d’être porté par un coup de hasard de l'histoire, ont joué dans l’esprit d’Allende davantage en faveur du MIR que toute idée de le neutraliser dans son extrémisme?

Reste que dans le cadre des ambiguïtés propres à la trilogie Allende/MIR/PS, la radicalisation gauchiste va se développer, va gagner en intensité et va conquérir une légitimité populaire étendue, débordant rapidement le gouvernement, le syndicalisme officiel et même en attirant les sympathisants des partis, y compris du Parti Communiste. Ce processus s’ajoutera à la décomposition aigue qui frappe l'État, scénario du jeu acharné des intérêts partisans

Or, en termes réels, l'alliance Salvador Allende/MIR apparaît comme le produit de malentendus, où le seul « gagnant » à court terme allait être l’extrémisme de gauche.

La direction du MIR considérait que l'arrivée de Salvador Allende au gouvernement représentait une porte ouverte exceptionnelle à l'extension de ses activités d'agitation, de recrutement et  d'organisation des masses. Le triomphe populaire, auquel le MIR n’y croyait pas, lui rendait le contexte très favorable et il lui fallait donc se doter des moyens pour matérialiser l’objectif d’amplifier ses bases populaires. De là son appui critique au gouvernement de l'Unité Populaire. Le contexte de tension crée par la droite dans sa tentative d’empêcher l’ascension d’Allende au pouvoir (y compris l’assassinat du Général Schneider ) favorisait les choses. Il y avait là, la possibilité de s'assurer une certaine protection politique, en comptant sur la bienveillance d’un laisser-faire venant du nouveau président. Ensuite, pourquoi sous-estimer la possibilité de pouvoir bénéficier des moyens institutionnels et matériels que pouvait offrir l'appareil de l'État ? Par le biais de cette alliance, on cherchait la manière de valoriser surtout les secteurs d'activité politique où le parti apparaissait aux yeux de la population avec une image d’efficacité et de dévouement à la cause révolutionnaire, en particulier deux:  les activités d'information et paramilitaires d'une part, et  d'une autre, les opérations d'occupation de terres conduites à la campagne par le Mouvement Paysan Révolutionnaire (MCR). Les interventions dans le secteur industriel ne prendront intensité que plus tard, quand déjà bien avancée la détérioration de l'image des partis officiels qu’y contrôlaient étroitement les syndicats.

La concrétisation la plus visible de l'alliance MIR/Salvador Allende a été évidemment la protection prêtée à la sécurité de la personne du président par le "Groupe d'Amis Personnels", garde personnelle constituée dans un premier temps par des "opérationnels" exclusivement militants du MIR, dont le contrôle politique était assuré par des personnes de l'environnement proche du Président et de membres du mouvement qui apportaient le côté "sérieux et politiquement fiable" de l'opération. Ensuite, le MIR mis au service du gouvernement son appareil de renseignements, expérimenté dans la clandestinité. En contrepartie, toute une série d'activités plus ou moins clandestines du mouvement, ont compté avec l’appui des services de la présidence, dont en particulier celles liées aux contacts de l'organisation avec les services de renseignements cubains, l'envoi de militants à se préparer militairement dans l'Île des Caraïbes, ou diverses activités spéciales réalisées à travers le territoire national.

De grande importance pour la transformation du MIR en une force politique de masses c’étaient aussi les alliances passées avec des fractions radicalisées du Parti Socialiste en vue surtout de faciliter les activités du "Mouvement Paysan Révolutionnaire". Mais, surtout, ces alliances, nouées souvent au coup par coup, allaient beaucoup favoriser les actions directes sur des exploitations agricoles grandes et moyennes et sur des centres industriels des plus diverses tailles, en créant ainsi des situations de facto pour pousser le gouvernement à prendre des mesures d’expropriation. Permissivité également pour les actions politiques destinées à créer des "Congrès paysans", "Cordons industriels" ou "Commandos communaux", formules toutes en rupture avec l’institutionnalité de l’Etat et avec les structures organisationnelles des travailleurs sous tutelle des partis de l'Unité Populaire. Ces formules suivaient de loin le chemin des "soviets" russes et signifiaient un défi redoutable aux limites démocratiques et constitutionnelles dans lesquelles le gouvernement disait vouloir encadrer son programme.

La catastrophe que j’avais prévue en 1970 prenait forme concrète aux débuts de 1972, moment où l'aggravation de la crise économique et de la lutte de classes paraissait conduire aveuglement l’expérience de l’UP au naufrage. Quelques éléments indiquant qu’Allende avait parfaitement perçu que la dynamique sociale déchaînée par son gouvernement pouvait conduire à une catastrophe et à son échec personnel. Il est très significatif par exemple qu'en date aussi précoce que novembre 1971 ait fait une première allusion à son suicide en laissant entrevoir une préméditation du geste qu’il devait accomplir le 11 septembre 1973. Le Figaro du 13 septembre 1973 citait François Mitterrand en disant textuellement: "Ceci (le suicide), ne m'étonne pas.  Quand je suis allé chez lui, il (Allende) m'a montré sur son bureau le buste d'un ancien président du Chili, José Balmaceda, celui qui s'est suicidé au milieu d'un push militaire. Il m'a dit: Si je suis renversé, je ferai la même chose". En fait, l’idée de la mort est très présente chez Allende depuis les premiers jours de son gouvernement: "…Seulement en me criblant de balles, pourront-ils m'empêcher la réalisation du programme du peuple", " seulement mort me feront-ils sortir de la Moneda"... Jusqu’au jour du drame, où dans son quatrième discours au peuple (il en a fait cinq ce matin-là), à 9h03, il fait l'annonce définitive: "Je paierais avec ma vie la défense des principes chers à ma patrie".

Le processus politique confus déchaîné par l'Unité Populaire n'offrait de clarté en 1972 que sur deux points: d'abord, que le gouvernement d’Allende tournait en rond (par indécision), et ensuite, que le mouvement social et politique radicalisé évoluait avec une dynamique en spirale, obéissant ses propres impulsions et orphelin toujours d'un leader ayant habilité stratégique et capacité de commandement, à la tête d'une solide organisation révolutionnaire. Bilan désastreux! Quand Allende termine ses jours, le panorama de la gauche et du gouvernement est désolant et certainement la meilleure description du contexte est celle décrite par Touraine le 9 septembre, deux jours avant le coup d’Etat: "Aujourd'hui, le Chili est bien un socialisme démocratique mais en décomposition. Allende n'exerce pas le pouvoir, il ne mène pas une politique; il surnage et pourrait bien se noyer.  L'Unité Populaire est un navire démâté, sans gouvernail et sans unité de commandement " (Alain Touraine, 1973,192)

Dans ce contexte de désastre, la perception de ne pas être à la hauteur de l'idéal construit au long de tant d'années, et que la réalisation d’une transition démocratique au socialisme s’avérait impossible, doivent inévitablement avoir ébranlé la personnalité du président. On peut faire allusion à ce propos à la notion de "mortification" narcissique qui peut se traduire comme la honte du Moi et l'humiliation de ne pas avoir su contrôler activement les facteurs de régulation de la relation narcissique au Moi. On sait que, quand le facteur narcissique est mis en position d'échec, le sujet doit faire face à la notion de "perte narcissique" et souffrir ses conséquences selon un mécanisme qui peut être imaginé comme ressemblant à l'effet de boomerang. "Nous observons souvent des situations conflictuelles entre le narcissisme et le Moi, dans lesquelles le narcissisme, au lieu de soutenir le Moi, s'oppose à lui; nous constatons souvent que la poursuite d'un idéal narcissique hautement valorisé prévaut sur tous les intérêts égotistes du sujet, ce qui peut aller, à travers une succession systématique d'actes hostiles au Moi, jusqu'à sa suppression complète par la mort ",  écrit  Béla Grunberger (2003,21).

Celui-ci semble un schéma explicatif assez valable pour comprendre la solution qu’Allende trouve à la crise politique et personnelle au milieu de laquelle il se trouvait  installé durablement.

Le jour même du coup d'État, Allende eut la possibilité d'éviter la mort en passant à la clandestinité, pouvant éventuellement se mettre à la tête d'une résistance populaire, dans le pays ou depuis l'étranger. Pourquoi au lieu de prendre ce chemin, qui était le chemin de l'action révolutionnaire et de l’éthique de la responsabilité, il a pris précisément le chemin de La Moneda pour ensuite suivre l’exemple de Balmaceda ? Aller au palais présidentiel entre 7h30 et 8h, du matin, déjà quasiment cerné par les conjurés, n’avait aucun sens puisqu’il n’ avait rien à y faire, ni militaire ni politiquement?, Pourquoi faire, sinon pour satisfaire l'exigence d'une solution narcissique à la crise d'image ? Avant de se suicider, il va rester six heures au palais présidentiel, à attendre peut-être une solution miraculeuse. :  il ne va pas utiliser ce temps pour appeler à la division au sein des forces armées (ce qui n’était pas à exclure) mais pour s’adresser cinq fois au peuple à travers la radio, sans aucune référence à la lutte ou à la résistance mais en lui demandant simplement de se mettre à l’abri, de ne pas s’exposer inutilement, façon sans doute d’être fidèle à son paternalisme bien connu et de rester identifié pour toujours à l’Idéal.

Les dernières semaines avant le coup d’Etat, il est apparu très peu en public, en préférant la solitude d'un cercle très restreint, il était à la recherche de sa dernière solution politique (le ministère des militaires) et avait même écarté provisoirement son principal conseilleur politique, celui qui l'avait accompagné tout le long de son gouvernement (Joan Garcés). Son aspect était plutôt celui d’un homme profondément  préoccupé et inquiet. Tout le contraire des premiers jours de gouvernement, quand conforté par l'enthousiasme populaire il s’e st montré sûr de lui, en laissant dans ses interlocuteurs la sensation d'une très forte personnalité, mieux encore, la sensation d’être face à quelqu’un jouissant de l'invulnérabilité elle-même.  Ceci était ressenti par tous ceux qui l’ont approché en faisant référence non seulement à l’inflexibilité et mauvaises intentions de ses ennemis politiques, mais aussi à sa propre sécurité personnelle. Ses gardes personnels n’avaient pas la tâche facile du fait de sa tendance à s’exposer indûment dans des circonstances compliquées. Son comportement était extrêmement tranquille, mesuré et formel, même quand les circonstances exigeaient un rythme accéléré imposé par les modalités sécuritaires: " du calme camarade, avec moi rien ne peut se passer" (manière de dire: "je suis au-dessus des dangers"). Or, on sait que la croyance dans l'invulnérabilité est précisément une des caractéristiques discernables parmi des sujets pratiquant un culte narcissique exagéré et, évidemment, une telle croyance peut revêtir des manières dangereuses pour eux, pour leur environnement et pour la société.

En conclusion, il peut être suggéré que le suicide d’Allende ne correspond nullement, comme l’ont proposé certains auteurs, à un sentiment de culpabilité face au peuple ou à l'histoire, à une confession d'échec politique, mais il peut, par contre, en suivant Freud (1971), être interprété comme un geste dérivé d'une culpabilité égotiste où l’essentiel est l’auto règlement de comptes comme moyen d’échapper à l'humiliation. Les origines du sentiment de culpabilité se trouveraient dans l'angoisse devant le Moi surestimé, angoisse provenant de l'impossibilité de dissimuler, malgré tout, la persistance du désir d'investir dans l'objet, en l’occurrence dans l'amour du peuple, opération qui nourrissait, en retour, la valorisation narcissique du sujet. L'image du président se  dévalorisait, s'effaçant aux yeux du peuple par l’impossibilité de passer à l'action révolutionnaire, d'assumer la responsabilité du mot et du geste, et cela ne pouvait que propulser le sujet à se punir lui-même.

L'interprétation que je viens de faire, du rôle joué par le Président Allende à la tête du  gouvernement, a mis en jeu les éléments les plus visibles de la relation du personnage à la politique, en tenant compte de la manière comme il a fait face aux principaux défis que la réalité s'est chargée de lui présenter. Il est fort probable qu'une étude affinée des différentes étapes de sa vie politique, ainsi que de certains traits de sa biographie personnelle, permettrait de renforcer la validité de cette interprétation en croisant des aspects de la personnalité de l'acteur avec les événements historiques et, éventuellement, contribuer à éclaircir d'autres aspects de la période, non traités dans cet article.

 

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De leur côté, les dirigeants qui ont stimulé la radicalisation des masses et qui ont insisté sur le travestissement du processus réformiste en chemin révolutionnaire ne se sont pas pour autant nullement inquiétés d’assumer les implications pratiques d'une telle prise de position.

Hormis quelques brèves escarmouches provoquées par la résistance d’héroïques militants de base des "cordons industriels" et de quelques quartiers populaires de Santiago, dans le reste du pays l’événement le plus marquant fût sans doute celui de la résistance armée opposée par les militants du MIR et les travailleurs forestiers de la région de Panguipulli passant ainsi la guerre populaire révolutionnaire à la littérature de la science-fiction...

En réalité, les seuls à avoir cru dans la possibilité d'une telle guerre ont été les militaires qui, influencés par les discours révolutionnaires et les bruits sur l’existence d’une forte puissance de feu chez les partisans du gouvernement, ont cru qu’ils allaient se trouver face à des milices armées ou à une armée populaire sortie des activités clandestines des fameuses « Commissions militaires », du MIR et du PS notamment. En effet, jusqu'aux trois ou quatre mois après le coup d’Etat, les forces armées se considérèrent en « état de guerre », en croyant à l’éclosion d’un soulèvement armé, d'un moment à l’autre, ce qui peut, en partie, expliquer l'acharnement et la cruauté dans la répression.

L’intérêt de la direction du MIR n'était pas que le gouvernement de Salvador Allende se sauve du désastre ni non plus de contribuer à assurer quelques conquêtes aux travailleurs, son objectif central était de parvenir à faire du MIR le parti hégémonique de la gauche, même si cela devait se construire sur les cendres de l'Unité Populaire. De manière irrationnelle, fondés sur une évaluation légère de la gravité des enjeux et sur une pauvre perception du futur, ces dirigeants pensaient qu'après la défaite de l'Unité Populaire le terrain serait plus que jamais favorable à l’accomplissement de leur objectif. Dans sa brutalité, cette position de la direction ne fut jamais explicitée publiquement au Chili, mais, par contre, elle était connue des militants. Après le coup militaire, quelques témoignages laissent entrevoir la vérité : par exemple, Edgardo Enríquez, frère de Miguel, l’a exprimée clairement lors de sa tournée européenne effectuée en 1974, en faisant apparaître le MIR non seulement comme la force principale de la résistance à la Junte Militaire, mais comme le parti révolutionnaire des années à venir. Cette disposition d'esprit de la direction entre 1970 et 1973, explique que la question de la guerre populaire révolutionnaire n'ait jamais été sujette à la discussion dans les instances du parti, y compris la Commission Militaire. Ce qui explique la surprise, la dispersion et le manque d’articulation des diverses activités qui avaient une relation, directe ou indirecte, avec l'éventualité de la guerre. Ces activités ont été, en effet, très peu valorisées durant toute la période de mobilisations, et la demande réitérée, déjà en fin 1971, de quelques militants, d'ouvrir une discussion interne sur les perspectives d'une sortie par la guerre populaire n'ont jamais eu de réponse.

Entre 1970 et 1973, le MIR ne s'est jamais intéressé à la perspective de la guerre populaire comme voie de sortie de crise, pas par manque de temps ou de ressources mais, parce qu’en dépit de contribuer et d’assister quotidiennement au spectacle de la mobilisation révolutionnaire des masses, sa direction n'était pas en condition de dépasser idéologiquement sa vision "guérrilleriste" de la révolution.

Quant à la "Commission militaire" du Parti Socialiste, dont ses militants avaient fantasmé sur son rôle à préparer la guerre, n’est allée au délà des bonnes intentions, sauf qu’elle ait eu quelque chose à voir avec l’infiltration de la Marine de guerre à Valparaiso, dont l'initiative appartient au secrétariat régional du parti, bien que la droite l’ait attribuée directement à Carlos Altamirano, son secrétaire national. Quant à l'approvisionnement en armes de bas calibre, de pistolets ou de revolvers, seul armement dont pouvaient disposer les militants socialistes, dépendaient de l'approvisionnement qui pouvait leur apporter marginalement le MIR. Mais, pour ne pas abonder sur un ton trop sérieux de quelque chose qui tenait beaucoup plus du romantisme et de l'improvisation que de vocation et rigueur révolutionnaire, je crois que le mieux est d’en conclure, après une brève citation du conseiller personnel d’Allende, par une anecdote, dont de la signification dramatique, le lecteur pourra facilement s’en apercevoir.

Écrit Joan Garcés (1976) :

 « C’est dans la matinée du 11 septembre, peu avant neuf heures, alors que les vols rasants de l’aviation rendaient difficiles les conversations que, dans une courte minute d’audience qu’Allende concède à Hernán Del Canto, membre de la direction du PS, ce dernier demande au président :

  • Président, je viens de la part de la direction du parti vous demander ce qu’il faut que nous fassions et où vous souhaitez que nous nous trouvions.
  • Je sais où est ma place et ce qu’il me reste à faire répliqua sèchement Allende. On ne m’a jamais demandé mon opinion auparavant ; pourquoi me la demande-t-on, maintenant ? Vous, qui avez tant paradé jusqu’ici, devez savoir ce que vous avez à faire. J’ai su dès le début quel était mon devoir.

La conversation s’acheva là. Del Canto s’en alla » (p. 276)

Cet écrit confirme le récit suivant :

En novembre 1973 je suis entré à l'ambassade de France à Santiago, à la recherche d'asile politique. J'ai très vite remarqué que dans l’escalier menant à une grande salle circulaire souterraine, où dormaient quelque 40 réfugiés, derrière la barre d’un petit bar installé sur un large palier, s’était installé, avec son lit de camp, un personnage qui a attiré mon attention. À la mi-matinée ou à peu près, l’homme en question posait, sur l’étroite barre du bar, un transistor de taille moyenne sur lequel il travaillait à la mise au point d’un texte enregistré par ses soins, texte qui rapportait les événements du bombardement aérien et de  l'assaut des militaires au palais de La Moneda. Je me suis renseigné auprès d’autres camarades : il s’agissait d’un journaliste syndical du Parti Socialiste qui se faisait appeler Caverno, son nom de bataille. Au quatrième jour, je l'ai approché avec le but de discuter sur son travail et là, il a profité pour me raconter la partie la plus récente que son histoire. Effectivement, journaliste du syndicat de la construction de Santiago, son histoire était celle d’un ancien militant socialiste de tendance trotskiste qui, les derniers mois avant le coup d’Etat, avait pris contact avec la "Commission militaire" du parti et, à la demande de celle-ci, il avait assumé la responsabilité de chef militaire du front des travailleurs de la construction du Métro de la capitale. Je rappelle qu'au moins 20.000 ouvriers y travaillaient quotidiennement dans les excavations et le transport de matériel, dans les œuvres de contention, etc. Quelques jours avant le coup d’Etat, ce camarade reçoit la consigne d'être immanquablement tous les jours très tôt à son poste de responsabilité politico-militaire, à l'Alameda Bernardo O’Higgins, au centre donc du chantier, en lui faisant savoir qu’il y avait des signes d'un possible coup d’Etat militaire. On lui assure qu’au cas où la menace se concrétiserait, on lui fera parvenir au moins deux camions chargés d’armes pour distribuer aux travailleurs. On lui exige le plus grand secret sur cette opération, en insistant qu’à partir de ce moment, les seuls ordres qu'il devait obéir parviendraient du Comité Central. À partir de là, un temps d'attente s’installe.

Le 11 septembre, vers 8 heures du matin, ou un peu avant, quand il se dispose à partir vers son poste de responsabilité politico-militaire, reçoit un appel téléphonique d’une personnalité du parti, membre du Comité Central et parlementaire, lui demandant de venir la chercher en voiture (dans le véhicule de fonction) pour la transporter d'urgence à un emplacement encore non défini. Arrivé à la direction indiquée, on lui explique que la dirigeante en question avait demandé asile dans l'Ambassade du Mexique et que, comme la mission est sensible et importante, il fallait qu'un camarade efficace et responsable comme lui s’en charge : de la transporter et de la rendre dans les mains de l'ambassadeur de ce pays. Une fois cette tâche avec succès accomplie, il a dû s’en occuper d’autres missions du même genre. Si bien que la matinée du "responsable militaire des travailleurs du Métro" fut complètement vouée au transport des dirigeants du parti ayant décidé d’abandonner le pays. Fin de l'histoire: le camarade Caverno n'a pas eu besoin d’autres preuves pour s’en convaincre que la situation était au « sauve qui peut » et décida que lui aussi devait demander l’asile politique, en choisissant l'Ambassade de France. Quel a été le sort des travailleurs du Métro ce jour-là ? Quant aux camions chargés d’armes, on n'a jamais eu des nouvelles.

Références

Debray, Régis, 1973, « Entretien avec Salvador Allende », in  « Chili, 11 septembre 1973. La démocratie assassinée », Arte Editions, Paris,

Dessuant, Pierre, , 2004 « Le narcissisme », Que sais-je?, PUF, Paris

Drake, Paul, 1992, “Socialismo y Populismo. Chile 1936- 1973”, Instituto de Historia, Universidad Católica de Valparaíso.

Freud, Sigmund, 1971 “Malaise dans la civilisation”, PUF, Paris

Garcés, Joan, 1976, “Allende et l’expérience chilienne”, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris

Grunberger, Béla , 2003,   “Le narcissisme”, Petite Bibliothèque Payot, Paris.

Haynal, André, « Narcissisme et sublimation »,

www.sospsy.com/Bibliopsy/biblio2/biblio014.htm

Joxe, Alain, 1974, « Le Chili sous Allende », Editions Gallimard/Julliard, Paris.

Simonelli, Thierry, 2003, “Narcissisme destructeur et identification projective”, (www.psichanalyse.lu/articles):

Touraine, Alain, 1973, « Vie et mort du Chili Populaire » Seuil, Paris..

 

[1] Allende avait  proposé à l'UP pour la première fois en janvier 1971, et ensuite à des occasions réitérées, l'organisation d'un referendum destiné à faciliter constitutionnellement l’action du gouvernement ainsi qu’a clarifier la portée et le planning  des réformes, mais la réponse de la coalition fut toujours négati

[2] Durant le gouvernement d’Allende, la vie politique du pays fut perturbée par le désordre dans la mise en œuvre de la politique d'expropriation d’entreprises industrielles et de services, ainsi que dans l’organisation du Secteur de Propriété Sociale. Au titre d’exemple, le programme de gouvernement de l'UP n’avait prévu l'expropriation que de 80 grandes entreprises considérées stratégiques, mais au bout de deux ans d‘excercise plus de 200 entreprises de toute taille étaient intervenues, avec l’aggravant que celles qui étaient prévues sur le listing officiel n’arrivaient qu’à 40.

[3] Tout au long de 1971 et 1972, la discussion destinée à obtenir une décision politique quant à l'organisation des exploitations agricoles expropriées a été interminable (si Règlements, si Centres de Réforme Agraire, si Centres de Production, ou si Coopératives) raison pour laquelle la confusion régnait et de nombreuses unités agricoles se sont organisées spontanément. Tout cela a négativement répercuté sur la productivité des exploitations et  surtout a contribué fortement à l'agitation sociale dans les campagnes.

[4] L'Unité Populaire a toujours été en minorité dans le Parlement et toute possibilité de faire avancer les réformes dépendait de la Démocratie Chrétienne, parti centriste. Il s’est avéré qu’aux yeux des responsables de ce parti, l’UP n’était pas crédible du fait de ses contradictions internes et, par conséquent, Allende n’était pas fiable. Cette situation explique l'importance qu’Allende accordait au referendum, lequel devait considérer entre autres choses une réforme de la Constitution visant un nouvel équilibre Parlement/Exécutif.

[5] La nécessité, ou l'obligation, pour le gouvernement d'écarter les généraux et d'autres militaires hauts gradés qui œuvraient pour la conspiration a sérieusement été posée déjà à partir de juin 1973, après une tentative de coup  d’Etat manquée. Le summum de l'indécision d’Allende, favorisée principalement par la position du Parti Communiste, a été de ne pas avoir tenu compte des conseils du général Pinochet, en l’occurrence commandant en chef de l'armée, qui, pendant presque trois semaines avant le coup militaire n’a cessé d’avertir le président qu'une insurrection pouvait exploser à tout moment et qu’il était nécessaire d'écarter les officiers supérieurs qui conspiraient. Allende, décidé à ne pas courir le risque de division de l’armée, ne l’a pas écouté. Quant à l'attitude de Pinochet, l'avis de Joan Garcés est que, celui-ci s’est plié au coup d'État et accepté d'être à sa tête, seulement au dernier moment, son opportunisme le propulsant à soutenir le secteur qui paraissait le plus fort (Joan Garcés, 1976, 255).